Un regard en arrière vers ces quatre derniers mois, les brumes et le gel, la fin d’automne et un hiver inachevé, les livres lus et critiqués ici et là.
A lire sur Un dernier livre avant la fin du monde :
Critique de L’Homme au grand-bi, Uwe Timm. 18 novembre.
L’homme au grand-bi rapporte avec un brin d’insolence, un ton badin et un humour pince-sans-rire et malin les bouleversements provoqués par l’irruption d’un objet improbable et hautement technologique dans le quotidien tranquille d’une petite ville bavaroise de la Belle Époque. L’arrivée du grand-bi sert de prétexte à Uwe Timm pour peindre une société en pleine mutation, et se moquer des réactionnaires de tout poil, bourgeois, moralistes, patriarches et consorts. Non sans malice, il teinte d’ironie la sempiternelle opposition entre conservateurs et fervents défenseurs du progrès dans laquelle le vélo qui affranchit l’homme devient subversif quand la femme monte en selle.
Lire la critique : http://www.undernierlivre.net/homme-grand-bi-uwe-timm/
L’Homme au grand-bi, Uwe Timm. Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, illustrations de Sophia Martineck. Éditions Le Nouvel Attila, 2016
Entretien avec Romain Verger (Sonia C., Lou D., Hédia Z.). 1 décembre.
« Ce que [Nathalie Sarraute] dit peut être de mon point de vue étendu à tout : il y a d’autres gestes sous les gestes, d’autres paroles sous les paroles, d’autres visages derrière les visages, d’autres montagnes contenues dans les montagnes et d’autres mers sous la surface des mers… Alors oui, c’est peut-être en s’acharnant à scruter l’apparente banalité des choses et des événements, à les embrasser totalement d’abord, et exclusivement, en se collant de toutes ses forces à la peau du réel que l’on s’aperçoit que cette peau n’a rien de lisse, qu’elle est fragile comme celle du lait et qu’elle peut à tout moment se déchirer et ouvrir sur une autre réalité, infiniment plus sombre et inquiétante. »
Lire l’entretien : http://www.undernierlivre.net/entretien-romain-verger/
Ravive, Romain Verger. Éditions de l’Ogre, 2016.
Critique de Hors du charnier natal, Claro. 14 février.
Dans ce Charnier natal, où les trappes ouvertes par l’écriture sont oubliettes et passages, les images, les associations d’idées incongrues et déroutantes, sourdent en une puissance taurine et délicate, dans ce double mouvement qui excave et élève, fidèle aux obsessions de l’écrivain immobile et en feu. Si Claro expérimente, ébranle et impressionne, il réjouit aussi par sa capacité à retourner les stéréotypes contre eux-mêmes, à se jouer de la langue et de ses structures, à capter du coin de l’œil les mouvements périphériques et les vols des gerfauts, à saisir et montrer ce qu’il y a de purement jouissif dans l’écriture.
Lire la critique : http://www.undernierlivre.net/hors-du-charnier-natal-claro/
Hors du charnier natal, Claro. Éditions inculte/dernière marge, 2017.
Lire aussi :
- Critique de La Maison des Épreuves de Jason Hrivnak, traduit de l’anglais (Canada) par Claro. Éditions de l’Ogre, janvier 2017.
- Critique de Animale Machine « La Grecque prodige » d’Eleni Sikelianos, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro. Éditions Actes Sud, janvier 2017.
Critique de Norwood, Charles Portis. 26 janvier.
Charles Portis (True Grit, Un chien dans le moteur) offre dans ce premier roman une image décalée et piquante de la société américaine vue par les yeux d’un gars du Sud qui a grandi entre l’Arkansas et le Texas, le long de l’U.S. Highway 82 de part et d’autre de Texarkana. Son court premier roman est autant un road trip drolatique aux dialogues impayables qu’un instantané en son et couleur de la fin des fities émaillé de bagnoles, de fausses et vraies réclames, de noms de marques ou de chaînes, de shows radiophoniques et télévisuels, de Golden Oldies, de comics et de pulps.
Lire la critique : http://www.undernierlivre.net/norwood-charles-portis/
Norwood, Charles Portis. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Théophile Sersiron. Éditions Cambourakis, 2017.
Critique de Marx et la poupée, Maryam Madjidi. 12 janvier.
Marx et la poupée oscille entre conte poétique et récit autobiographique en un jeu sensible et intelligent avec la distance à soi, au présent, aux racines. Maryam Madjidi y tente de résoudre le paradoxe douloureux de l’exil et démêle les nœuds d’une identité construite, déconstruite, reconstruite autour d’une double culture qui est à la fois richesse et fardeau. Elle parvient à poser avec beaucoup de justesse des mots tour à tour tendres et acérés sur la complexité des sentiments d’appartenance et de rupture et orchestre les fragments de vie qui composent son récit avec une écriture simple et directe loin d’être dénuée d’humour, de finesse, de vivacité et d’intelligence.
Lire la critique : http://www.undernierlivre.net/marx-poupee-maryam-madjidi/
Marx et la poupée, Maryam Madjidi. Editions Le Nouvel Attila, 2017.
Sur Addict-Culture, deux livres-objets :
Quelques mots glissés pour la fin d’année sur Adieu, je pars à la gare d’Arthur Cravan (éditions Cent pages, 2016) qui présente les lettres pleines de fièvre et de fureur du poète à Sophie Treadwell, et Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs de Véronique Bélard (éditions sun/sun, 2016) dont je vous ai proposé ici une lecture photographique croisée avec Poëme d’Eric Darsan.
Lire les brèves ici : https://addict-culture.com/coups-de-coeur-litterature-noel-2016/
Addendum :
La Sonate à Bridgetower, Emmanuel Dongala.
Une lecture qui m’a procuré un sentiment mitigé : on apprend beaucoup, mais on s’ennuie un peu. La plongée dans l’effervescence culturelle en Europe à la fin du XVIIIe, la découverte de la place qu’y tiennent certains Noirs (et aussi certaines femmes), l’évocation de l’essor de la musique classique, de la naissance du féminisme, de l’abolition (provisoire) de l’esclavage pendant la Révolution française : le thème est passionnant, le roman est érudit, l’on sent derrière l’immense travail de recherche. Malheureusement, le sujet écrase l’écriture plus qu’il n’est porté par elle, le livre cède à la tentation de vouloir tout dire et tout apprendre, mais l’écriture d’Emmanuel Dongala perd la force et la puissance qui la caractérisaient et qui faisaient toute la beauté du Feu des origines ou de Photo groupe au bord du fleuve.
La Sonate à Bridgetower, Emmanuel Dongala. Éditions Actes Sud, 2017.
Chômage monstre, Antoine Mouton.
Chômage monstre est beau, formidable, incontournable — une secousse, subtile, qui reste. Qui m’a touchée. Ce livre court appartient à ces lectures qui ne vous quittent pas, qui vous accompagneront un moment qui durera longtemps peut-être sur votre chemin de lecteur. Empressez-vous de le lire !
« quelque chose devait mourir l’autre langue peut-être
celle qui nouait la nôtre la rendait convulsive tremblante
or trembler manque à présent
il y a ce pénible vertige de voir s’ouvrir l’espace et de ne pas savoir où aller, comment l’habiter
reste le reste qui est tout mais où l’on peine à s’aventurer »