« Dédicacé à celles et ceux qui partout s’insurgent, provoquent des troubles, provoquent la paix, jardinent et combattent les incendies. », Starhawk.
Seattle, 1999, sommet de l’OMC. Washington, 2000, réunion du FMI et de la Banque Mondiale. Prague, 2000, réunion du FMI et de la Banque Mondiale. Brésil, 2001, Forum Social Mondial de Porto Alegre. Québec, 2001, sommet pour la Zone de libre-échange des Amériques. Gênes, 2001, réunion du G8. Manifestations. Batucadas, barricades, couleurs, slogans, blocage des sommets — « La rue elle est à qui ? Elle est à nous ! » Lacrymo, police montée, flics antiémeute, flashballs, répression. L’énergie de la colère du peuple face « l’incroyable activité destructrice et l’injustice du système » et de toutes formes d’oppressions. Le mouvement mondial pour la justice globale qui émerge entre 1999 et 2001 et prend d’emblée la claque du 11 septembre : « comment remettre en cause la politique économique globale quand “capitalisme” et “liberté” sont présentés comme synonymes dans les médias et vus par le public comme les innocentes victimes du terrorisme », comment lutter quand la menace terroriste sert de prétexte au durcissement de la répression étatique ?
« Mais plus que tout, nous devons clarifier notre vision du monde que nous voulons créer afin d’être en mesure de mobiliser les espoirs et les désirs des personnes autant que leur colère. Et nous devons être créatif·ve·s, visionnaires, sauvages, sexy, bigarré·e·s, drôles et joyeux.ses face à la violence dirigée contre nous. »
Anarchiste, féministe, écologiste, sorcière néo-païenne, Starhawk milite et manifeste depuis les années 1960. Elle est à l’origine de la création de nombreux covens, forme des militants à l’action directe non violente partout dans le monde, écrit et appelle chacun à tisser un monde d’une étoffe nouvelle. Rêver l’obscur – Femmes, magie et politique, premier volume de la collection « Sorcières » revenait sur sa lutte antimilitariste et antinucléaire des années 1970-1980 et l’importance des rituels et de l’empowerment, Chroniques altermondialistes réunit une trentaine de textes de Starhawk écrits entre les manifestations de Seattle et les jeunes lendemains du 11 septembre. Récits sur le vif de manifestations écrits après la mêlée ou même pendant, retour sur des formations dispensées en Europe et Amérique du Sud, outils et stratégies pour l’action, réflexions sur la lutte, propositions pour dépasser la dichotomie entre violence et non-violence qui déchire le mouvement… Starhawk mêle ses retours d’expérience, sa sensibilité, sa pensée politique, sa conception de la lutte et sa spiritualité avec une énergie vive et contagieuse.
« Si casser une vitre et riposter lorsque les flics attaquent est de la “violence”, donnez-moi un autre mot, un mot mille fois plus fort, pour décrire des flics frappant des personnes qui ne résistent pas jusqu’à ce qu’elles tombent dans le coma. »
« Je suis là, j’ai fait de mon mieux pour inspirer et encourager d’autres personnes à être là avec moi parce que, aussi effrayée que je sois par les flics antiémeute et les balles de caoutchouc, je suis mille fois plus effrayée encore par ce qui arrivera si nous ne sommes pas là, si nous ne contestons pas cette réunion qui continue derrière ces murs. »
La publication de ces chroniques par « Sorcières » en mai n’est pas une coïncidence — impossible, évidemment, de ne pas faire le lien avec les mouvements actuels et la brutalité de la répression étatique qui a suivi les attentats du 13 novembre en France : répression des manifestations pour la justice climatique lors COP 21, répression encore (et accrue) de la lutte contre la loi Travaille ! et son monde, évacuation de la ZAD de Bure, menace d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… On retrouve dans la politique de l’état français le schéma de la répression policière détaillé par Starhawk et appliqué systématiquement chaque fois que la défense des intérêts du capitalisme entre en jeu : campagne de propagande médiatique de désinformation qui désigne toutes les manifestations précédentes comme violentes, surveillance des téléphones, mails et listes de diffusion des réseaux militants, contrôles préventifs (assignations à résidence, fermeture des frontières…), usage systématique de gaz lacrymogènes et de flashballs, arrestations à l’aveugle de manifestants pacifistes, utilisation de provocateurs, brutalité policières dans les commissariats et prisons, tentative de « neutralisation » des leaders… L’on mesure à la violence du déchaînement combien ceux qui « peuvent nous tabasser, nous gazer et nous mettre en prison dans une quasi-impunité » ont peur. Combien leurs supérieurs sont effrayés par la minorité agissante, qui pointe leurs agissements du doigt au grand jour.
« Il faut de la place dans notre mouvement pour la rage, l’impatience, la ferveur militante, pour une attitude qui proclame : “Nous sommes des dur·e·s à cuire, nous sommes de la canaille, et nous allons démolir ce système.” Si nous nous coupons de cela, nous nous dévitalisons.
Et nous avons besoin d’espace pour celles et ceux d’entre nous qui essaient d’explorer des formes de lutte qui échappent aux catégories. Nous avons besoin d’une créativité radicale, d’espace pour expérimenter, pour fabriquer un nouveau territoire, inventer de nouvelles tactiques, faire des erreurs. »
Exhortations : ne laissons pas la peur limiter nos rêves et nos actions, cultivons la désobéissance, occupons la rue, incarnons notre propre vision, soyons créatif·ve·s et radicaux. Le pacifisme intrinsèque de Starhawk ne condamne pas la colère provoquée par les agissements intolérables des instances de la finance mondiale, d’états ou de la police et de toutes les formes d’oppression et de domination, mais intègre plutôt la « lucidité radicale » des activistes qui pratiquent une lutte confrontationnelle. Tisser la toile du soulèvement global invite au respect des tactiques de chacun et imagine des « empowered direct actions » (« actions directes libérées ») fluides qui mettraient en jeu l’imagination, modifieraient la façon dont le pouvoir est structuré et nourriraient l’empowerment de chaque individu ou groupe, en faisant appel à la force de libération de la joie, du théâtre de rue, des déguisements, des batucadas, de tout ce qui est « exubérant, tendre et sauvage ». Tout en articulant les manifestations au niveau mondial et la lutte locale quotidienne. Starhawk appelle chacun à affiner sa vision du monde qu’il souhaite, à commencer par « poser des questions dangereuses » sur le coût réel des produits qu’il consomme, leur origine et leur impact humain et écologique. A remettre publiquement en cause la légitimité des institutions par les manifestations et les actions de désobéissance. A ne pas compter sur des démocraties corrompues, mais à agir. A « ne pas attendre la révolution, mais la vivre maintenant. » A puiser le courage dans le « tourbillon de forces » de celles et ceux qui luttent. A transmuter la rage en énergie. A être déterminé·e·s.
« Quinze ans plus tard, on retrouve en France cette rencontre entre cultures activistes, à la fois confrontationnelle et créative, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes », écrit Jade Lindgaard dans la préface « Désobéir en état d’urgence » qui ouvre le livre. La journaliste de Mediapart animera dimanche matin (10 juillet) le temps fort collectif des rencontres annuelles de la ZAD « Notre-Dame-des-Landes, laboratoire de démocratie ? ».
Toutes les infos ici sur ce week-end de rencontre sont sur le site Notre-Dame-des-Landes 2016.
Et pour entamer l’été dans la beauté des luttes, deux extraits des Chroniques altermondialistes de Starhawk suivis d’un extrait d’un appel à faire Commune de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Afin que cela existe : instructions pour une initiation, Seattle 1999 — Starhawk
« Cela commence avant que vous ne quittiez la maison avant l’aube, dans l’obscurité. Ôtez tous vos bijoux, tout ce que vous n’avez vraiment pas envie de perdre. Laissez derrière vous tout ce qui permettrait de vous identifier, oubliez votre nom. Prenez seulement ce qui vous aidera ou vous sera utile : ayez les poches pleines de pommes, de sandwichs, de chocolat, des ciseaux à ongles pour les menottes en plastique, un foulard imprégné de vinaigre contre le gaz lacrymogène.
Longez les rues sombres jusqu’au lieu de rendez-vous. Brandissant les bannières qui ne vous ont pas encore été confisquées, commencez à marcher. Battez des tambours. Ils vous ont interdit de vous rassembler — votre défi est de leur désobéir.
Allez aussi loin que possible avant que la police ne vous arrête. Votre défi maintenant est de marcher sans armes vers des lignes massives d’hommes connus pour leur violence, de faire face aux armes, aux bâtons, aux gaz lacrymogènes avec rien d’autre que votre corps et le pouvoir de votre esprit.
Asseyez-vous. Tenez bon. Tenez-vous les unes aux autres tandis que la violence commence autour de vous, protégez-vous les unes les autres du mieux que vous le pouvez. Parlez aux policiers, continuez à leur parler alors que les bâtons frappent autour de vous, alors que vos amies sont traînées, jetées à terre, battures la figure écrasée contre le sol.
Gardez l’esprit fixé sur la signification de ce que vous faites tandis que vos mains sont menottées derrière votre dos. Votre défi maintenant va être de vous souvenir, à chaque étape de ce qui vous arrive, que vous avez le choix : dire oui ou résister. Choisissez vos batailles avec soin — il y en aura beaucoup et vous ne pouvez les mener toutes. Pourtant, chaque exemple de résistance ralentit le système, contrecarre son fonctionnement, diminue son pouvoir.
Prenez soin les unes des autres. Si vous vous êtes libérée de vos menottes, utilisez vos ciseaux pour libérer vos amies. Partagez la nourriture et l’eau que vous avez avant qu’on vous les confisque. […] Vous attendrez pendant très longtemps. Ils ne cesseront de vous dire que ce que vous voulez se trouve précisément là où ils veulent que vous alliez. Ne leur faites pas confiance. Armez-vous de patience — vous allez en avoir besoin. Acceptez la faim. Restez assise dans une cage avec vos sœurs — continuez à échanger vos récits, à chanter vos chansons. Maintenez l’épuisement à distance. […] Dans une cage, la porte fermée crée la seule distinction qui compte. Nous sommes toutes du même côté.
[…] Pendant les jours qui viennent, votre défi sera de tenir. Continuez à parler, à chérir les amitiés que vous nouerez, la toile qui est tissée ici. Chérir la lumière qui pénètre dans une cage ; ici tous les rouages du pouvoir sont parfaitement apparents. Il n’y a plus de déguisement, le système ne prétend plus servir vos intérêts. Et lorsque vous sortirez de prison, vous verrez la prison là où elle se dissimule dans les galeries commerçantes, l’école ou le programme de télévision. Vous saurez qu’à tout moment vous avez vraiment le choix : dire oui, résister, créer quelque chose de nouveau.
La nuit, dans le monde souterrain, gisant dans cette cellule étouffante, brûlante de fièvre, continuez à respirer. Utilisez votre magie. »
Le pont tremble à minuit : mon histoire à Québec — Starhawk
« Sous l’autoroute, ils et elles jouent du tambour. Vêtu·e·s de noir. La tête couverte de la capuche de leur sweatshirt, ils et elles ramassent des bâtons et frappent les grilles, frappent les sculptures de métal qui ornent ce parc de sans-abri, frappent les piliers du viaduc qui relie les parties haute et basse de la ville de Québec. La plupart sont jeunes. Colère et jubilation à la fois, ils et elles dansent dans la nuit après deux jours sur les barricades. Les flics en surplomb envoient des décharges de gaz lacrymogène. Les volutes de gaz forment des nuages qui dérivent à la manière d’une brume fantôme d’une beauté mystérieuse, mais les danseurs et danseuses continuent à danser. Le son et le rythme s’amplifient toujours plus, un rugissement qui retentit dans toute la ville, plus puissant que vous ne pouvez l’imaginer, assez puissant, semble-t-il pour faire s’écrouler l’ordre ancien. C’est comme le mugissement des rapides lorsque vous approchez de la chute d’eau sans la voir. Comme le battement énorme du cœur de quelque chose qui est en train de naître. Une bête brute qui va vers Bethléem, sans traîner la patte, mais à grands pas, fière et solidaire.
Un carnaval, une danse, une bataille. Images de guerre : les nuages de gaz lacrymogène, le jet du canon à eau, l’éclat des gaz explosifs et, oui, les cailloux, les briques et les bouteilles. Personne n’est venu·e là en s’attendant à une lutte sans risque et pacifique. Tou·te·s celles et ceux qui sont là ont surmonté leur peur et doivent continuer à le faire, d’instant en instant. »
Chroniques altermondialistes — Tisser la toile du soulèvement global. Starhawk. Collection « Sorcières », éditions Cambourakis, 2016. Traduit de l’anglais [États-Unis] par Isabelle Stengers, Édith Rubinstein et Alix Grzybowski
Rencontres sur la Commune 31 mai – 4 juin 2016, sur la ZAD, Notre-Dame-des-Landes
« Dans notre quête de mondes enfin habitables, nous avons pris des lieux, par des occupations sauvages, urbaines comme rurales, par des achats collectifs ou autres stratagèmes juridiques. Nous nous sommes ancrés dans des quartiers, des villages, des territoires. Nous nous sommes inscrits dans une temporalité qui n’a plus grand-chose à voir avec les surgissements éphémères des mouvements sociaux, mais qui en constitue tout de même une forme de prolongement. Dans ces lieux, nous avons mis en commun des bâtiments, des ateliers, des outils, des terres, des savoirs-faire, des rêves, des pans entiers de nos vies. Nous avons repris en main les conditions matérielles et spirituelles de nos existences. Nous y vivons, bataillons, festoyons, complotons, tissons des amitiés et des solidarités indéfectibles au-delà du cercle affinitaire de la bande, du milieu ou de la communauté d’intention, mais à l’échelle d’un territoire et de ses habitants. Nous y esquissons des nouvelles formes de communalité, au fil des fêtes, des chantiers collectifs et des confrontations avec les autorités.
Il y a partout des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessiné des pôles de sécession et de désertion dans et contre la société. Des lieux qui sont des sortes de contre-emplacements, des lieux qui sont tout l’inverse d’une utopie en ce qu’ils existent réellement, avec leurs points de forces et leurs fragilités, leurs dépassements et leurs contradictions. Des lieux qui peuvent être rejoints. C’est depuis ces lieux que se réinventent mille manières de faire Commune aujourd’hui. Et quand un mouvement social resurgit, c’est depuis l’assise que nous confère cet ancrage que nous y prenons part.
Nous le savons, détruire est indispensable et exaltant, mais ne suffira pas. Il nous faut, dans un même geste, construire. On voit par là combien il serait absurde de prêter aux multiples tentatives de faire commune un sens uniquement destructeur ou constructeur alors qu’elles surgissent précisément là où la construction et la destruction cessent de pouvoir être brandies l’une contre l’autre. Tout porte à croire qu’il existe certains foyers de résistance où l’offensive et l’alternative, l’individu et le collectif, le singulier et le commun cessent d’être vécus contradictoirement. »
(Allez donc lire le texte dans son intégralité sur Lundi Matin !)