Fenêtres, Lisbonne
Fenêtres, Lisbonne

« Ils n’aiment pas les fenêtres et préfèrent à y voir clair, se sentir chez eux, mais, comme ils sont très courtois et qu’ils ne veulent pas agir autrement que dans les pays où l’on en use, et puis, que ça ferait nu, morne et hostile, attirerait l’attention et les mauvais sentiments, alors qu’ils ne sont que paix et placidité, ils ont des maisons avec des fenêtres, même avec beaucoup de fenêtres, mais toutes fausses, et pas une ne pourrait s’ouvrir, même s’il s’agissait de fuir un incendie ; cependant imitées à s’y méprendre, avec des ombres et des reflets, de sorte que c’est un plaisir de les regarder, sachant qu’elles sont fausses, surtout si l’heure et la force du soleil réunit à peu près les conditions du trompe-l’œil.

Fenêtres roses, azulejos verts, Lisbonne

Il y en a même d’entr’ouvertes, perpétuellement, nuit et jour, et les jours les plus froids, par temps de brouillard, de pluie, de rafales de neige, mais ne laissant quand même rien entrer ni sortir, douloureusement semblables à la charité de surface des riches

Murs décrépis, azulejos bleus, Lisbonne

Comme beaucoup de gens placides, quand on les atteint, deviennent haineux et mauvais, il faut éviter de leur parler de fenêtres et ne jamais en inviter un chez vous, si vous en avez une de percée, quand bien même elle serait fermée, barricadée, hors d’usage, ou dans une pièce de débarras. Jamais il ne vous le pardonnerait. »

 

 

 

*

« Des portes battent sous l’eau.

Il faut savoir les entendre. Ainsi l’on peut connaître son avenir, le proche, celui de la journée. Ce que savent remarquablement faire les voyantes qu’on rencontre au bord de la mer, en espoir de clientèle.
Par avance, elles entendent battre toutes les portes par lesquelles vous passerez ce jour-là, quelque nombreuses démarches que vous fassiez, et voient les gens rencontrés de l’un de l’autre côté des portes et ce qu’ils vont dire et décider.

 

Havaneza de Sao Domingos, Façade, Lisbonne

C’en est stupéfiant.

L’on croit jusqu’à la nuit vivre une journée déjà vécue. »

 

*

 

Linge, lumière, fenêtres

 

Fenêtres et Recoin, azulejos, Lisbonne

« Les Émanglons quoiqu’ils aiment beaucoup les lumières adoucies ne sont pas à l’aise le soir, même dans les villes.
Ces plaques blafardes qui apparaissent à la fin du jour sur un arbre, une maison, un nuage les fascinent.
De façon générale, dans les campagnes, la pénombre est redoutée. Le gris, l’entre-chien-et-loup les remplit d’inquiétude. Ils battent du tambour et font parler la poudre, et ne se tranquillisent qu’avec la nuit qui tombe.
Le jour aussi ils restent confiants, mais le soir, chaque soir, les inquiète et les serre à la gorge. »

 

*

 

Fenêtres et Linge, rue, Portugal


« Tout à coup on se sent touché.
Cependant rien de bien visible contre soi, surtout si le jour n’est plus
parfaitement clair, en fin d’après-midi (heure où elles sortent).
On est mal à l’aise. On va pour
refermer portes et fenêtres. Il semble alors qu’un être véritablement
dans l’air, comme la Méduse est dans l’eau et faite d’eau à la fois,
transparent, massif, élastique, tente de repasser par la fenêtre qui
résiste à votre poussée. Une Méduse d’air est entrée !
On tente de
s’expliquer naturellement la chose. Mais l’insupportable impression
augmente affreusement, l’on sort en criant « Mja ! » et l’on se jette en
courant dans la rue. »

 

Climatisation

« Une Méduse d’air est entrée ! »

 

*

« Saignant sur le mur, vivante, rouge ou à demi infectée, c’est la plaie d’un homme ; d’un Mage qui l’a mise là. Pourquoi ? Par ascèse, pour en mieux souffrir ; car, sur soi, il ne pourrait s’empêcher de la guérir grâce à son pouvoir thaumaturgique, naturel en lui, au point d’être totalement inconscient.

 


Mais, de la sorte, il la garde longtemps sans qu’elle se ferme. Ce procédé est courant.
Étranges plaies qu’on rencontre avec gêne et nausée, souffrant sur des murs déserts… »

 

*


« Il lui crache son visage au mur.
Le fait énoncé ici est en relation
avec ce que je dis ailleurs de la capsule. Cet acte de mépris signifie
qu’on ne veut avoir aucune relation avec l’individu, qu’on ne veut pas
une trace de lui sur soi. On la rejette donc publiquement.
Le Mage recrache sur le plus proche
mur, le visage détesté, rendu hideux, quoique parfaitement
reconnaissable et vrai, et le Mage s’en va sans mot dire. Le visage
reste un temps sur le mur, puis il s’empoussière. »

 

Lapin, poubelles, street art, Lisbonne

 


 

Drogaria Sao Domingos

A l’entrée de la ville, un étrange bâtiment, sans queue ni tête, sans pièces logeables, mais non sans grandeur, exprime l’âme de la ville, l’âme changeante. Aussi est-il plein de démoli autant que de construit.
La façade du grand Méhu architectural de Méhé est tellement impressionnante que des femmes sont mortes en la voyant, terrassées par l’admiration. »

 

Silhouettes, street art, Lisbonne

 

*

« Ils disposent pour la construction des routes d’un pinceau à paver.

Ils ont encore un pinceau à bâtir. Pour les endroits éloignés, ils ont même un fusil à bâtir. Mais il faut savoir viser bien juste, bien juste. En dire la raison est superflu. Qui aimerait attraper un toit sur la tête ? »

 

Ocupar as ruas, reclamaar a cidade

 

Citations extraites de « Voyage en Grande Garagbagne » et « Au pays de la Magie », Ailleurs, Henri Michaux, Gallimard, édition de 1986.