Ce mois-ci, cela fait deux ans qu’Éric et moi sommes nomades. Nomades, c’est-à-dire en mouvements ; nomades : de lieu en lieu — d’espaces en espaces. Les paysages défilent, l’asphalte, les parkings, les plages, les retraites, les visages, toutes les mailles d’un réseau sur lequel danser, un ensemble de joies immenses et de galères moindres, un grand jeu de piste où : suivre les signes, laisser filer le doigt sur la carte (les doigts qui dérapent et traversent les océans, les continents, mais les corps ne suivent pas, pas encore), chercher les réponses aux questions que le mouvement soulève. Dans ce nomadisme qui est nôtre (je l’écris dans presque toutes les lettres que j’envoie) le temps se dilate et se contracte, prend une substance nouvelle, tout en accélérations et suspensions. Nous nous installons dans ce temps du voyage qui est fluide — apprendre à quitter, à fixer sur la rétine, à imprimer en soi les goûts, les odeurs, les détails qui construisent un lieu (matières, sons, substances), à dire au revoir, à sentir le moment du départ après un jour, deux semaines, trois mois parfois.
L’écriture, sa pratique, se sont modifiées : quelque chose de plus lent, de parfois fulgurant, fractionné par les déplacements, les contingences, les quêtes, la farniente, l’amour. Une écriture modelée par le mouvement autant que par la vie dans la Nature, le contact du sable sous les pieds, les nuits étoilées, les traversées d’interzones ou d’hétérotopies. Moins de critiques littéraires, pour moi (beaucoup de très belles lectures), mais : un roman dont l’écriture s’est à la fois étirée et condensée et qui s’achève presque, quelques textes courts accompagnés de photographies publiés sur les réseaux sociaux que je regroupe dans Instantanés (et quelques articles photographiques publiés dans Regard), quelques enregistrements audio et vidéo pas encore édités ni publiés…
J’ai longtemps hésité avant de parler ici de nomadisme (je ne le fais que brièvement, maladroitement, car il faudrait beaucoup de mots pour circonscrire ou appréhender), il me semble que c’est le moment et que, peut être, aborder ce grand pan de la vie, ce qui aujourd’hui est devenu indissociable de la vie, permettra de mieux partager, de donner un contexte aux mots, aux écrits.