Équinoxe :
Hier, ce n’était qu’un groupe flou dans la pénombre, longs cous & têtes noires sur la vasière découverte près du rocher-frontière entre l’estran et le chenal. Et ce matin, les oies bernaches étaient là, pagayant des cercles désordonnés en avance sur novembre. Depuis l’équinoxe, la mer devient froide et les baignades se sont espacées. Une dernière nage pour la pleine lune et la fusion magique de l’étal de marée haute avec le coucher du soleil, dans le silence rose de la nuit qui tombe presque, puis l’eau n’a plus dépassé la moitié des cuisses, à peine les mains, surtout pas le ventre ou les épaules. Avec l’automne, les oiseaux se regroupent : sur la première poche de vase découverte par la marée, ce matin, huit aigrettes et une dizaine d’huîtriers-pies, les râles rauques et les cris aigus, un plongeon de cormoran, et maintenant les aboiements des oies. On a voulu enregistrer, mais un bateau est passé et au loin il y avait les cloches du village, un tracteur, des poules, le coucou au-dessus de nos têtes, tous les passereaux, puis encore un vrombissement de hors-bord. J’ai pensé que la musique de l’embouchure a plusieurs couches, les sons des hommes et ceux des oiseaux mélangés comme la mer et la rivière. L’eau salée l’emporte, et le bruit des pêcheurs.
Après les oies, la première pluie d’automne est tombée, en rafales du nord-ouest, les îles ont disparu de l’horizon, noyées dans la brume, en voyant la rive opposée l’on pense à un théâtre d’ombres : à peine une silhouette de côte gris foncé sur un ciel gris pâle et en dessous, la mer blanchie, même plus bleue, qui force le passage dans la rivière. Vagues, courant, vent, pluie, dans le même sens, les goélands font face une seconde et virent, en appui sur l’aile droite. La terre était si sèche que la première heure l’eau a roulé sur elle sans la mouiller, cela faisait comme des petits ruisseaux qui coulaient vers la grève, la chatte est rentrée de sa promenade matinale au petit trot vers les couvertures froissées sur le fauteuil qui ont accueilli sa fourrure humide, la tourbe sèche est redevenue spongieuse et dans le champ voisin l’herbe ploie sous les gouttes. Il faudrait écouter les Gymnopédies, puisque octobre s’installe.