Il fait de plus en plus froid, et depuis Noël flotte en moi l’impression que le temps ralentit et s’étire doucement. Au-dessus du grand futon, la fenêtre découpe un morceau de ciel dans le toit, et les jours tissent une guirlande d’averses, d’étoiles et de bleu. En contrebas, le jardin semble presque dormir.
Depuis la mi-décembre et le paillage des carrés, j’y mets moins souvent les pieds qu’à l’automne, à part pour une traversée éclair vers le compost caché dans l’angle du fond, sous le laurier. L’hiver recouvre tout. Et pourtant… il suffit d’aiguiser son regard, son ouïe, pour s’apercevoir que le jardin est moins endormi que nous. Chaque matin, les oiseaux qui l’égayent me tirent du sommeil. Sur le pêcher, une mésange bleue. Plus haut, perchées sur l’érable, les trilles d’une grive musicienne.
Mésange, hiverAlors je chausse mes bottes, et m’en vais explorer le soleil d’un petit matin, et vous rapporte quelques images glanées dans les parterres.
Dans les carrés, paillés à l’arrivée des premiers froids, les salades, épinards et herbes aromatiques ont beaucoup de mal à pousser, et devront sûrement être semés de nouveau au printemps. Par contre, les fraisiers résistent bien aux changements de température, et les plants d’oignons et d’ail protecteurs émergent joliment des fétus.

Plant d'oignon
Quelques fleurs vivaces émaillent encore les massifs de leurs couleurs vives, pensées et pâquerettes plantées en octobre, tâches de lumières au pied des arbres et des haies.

Pensée
Pâquerette
A l’ombre du laurier et du cerisier, contre le mur sud du jardin clos, le camélia tend ses robustes feuilles brillantes vers le soleil matinal, ses fleurs roses viennent parfois éclairer la table en de délicats bouquets hivernaux.

Camélia, hiver
Déjà, dans chaque parterre, les jacinthes des bois percent la terre, pointent leurs feuilles en pique et se mêlent aux primevères d’automne. Elles envahissent le jardin, promesse d’un printemps bleu. En même temps qu’elles, naissent petit à petit les prémices des jonquilles. Au bord de la mare, l’hémérocalle surgit, et je ne sais pas à quoi m’attendre. J’ai planté quelques bulbes sans connaître la plante, attirée par l’étiquette vendeuse de la boutique, et le rouge profond qui s’y étalait. Ce sera la surprise.


Pour finir, il y a les arbres nus de l’hiver, perchoirs des oiseaux au chant alerte. Les branches marrons et rouges, les troncs lisses et sombres qui se fondent dans la brume ou se profilent sur le ciel vif et froid, et Emily Dickinson, voix claire qui coupe le vent.
Erable, hiver

Growth of Man — like
Growth of Nature —
Gravitates within —
Atmosphere, and Sun
endorse it —
Bit it stir — alone —
Each — its difficult
Ideal
Must achieve — Itself

Through the solitary
prowess
Of a Silent Life —
Effort — is the sole
condition —
Patience of Itself —
Patience of opposing
forces —
And intact Belief —
Looking on — is the
Department
Of its Audience —
But Transaction — is
assisted
By no Countenance —

La Croissance — pour
l’Homme ou la Nature —
S’opère à l’intérieur

Atmosphère, et Soleil la
confirment —
Mais elle agit — seule

A chacun — d’accomplir
— Lui —même
Son difficile Idéal —
Par la solitaire prouesse
D’une Vie de Silence —

L’Effort — est l’unique
condition —
L’Endurance à Soi —
L’Endurance aux forces
adverses —
Et une entière Foi —

Regarder — est le
Domaine
De son Public —
Mais la Transaction —
n’est vue
De Personne —

Dickinson, Emily. Une Âme en incandescence. Editions José Corti, 2012. (Un très bel ouvrage déniché sur les étagères de la Librairie Coiffard de Nantes.)