Haricot de la Révolution, panais, zinnias, haricot d’Espagne, salsifis, soucis, céleri rave, thym, betterave, radis. |
Abondance renaissante de la végétation, après un repos perturbé — pas de léthargie, un sommeil en demi-teintes, une veille prolongée, une absence d’hiver. Verdure calme et persistante qui s’est acharné à ne pas disparaître, fleurs vivaces qui ont prolongé l’éclosion — permanence des soucis des jardins oranges et jaunes sans repos, coquelicot de novembre, la dernière rose a croisée la première-née. Incomplétude. Comme un plaisir de l’attente dérobé, un désir trop anticipé. Frustration, lorsque les perce-neige côtoient les jonquilles et primevères de février. En mars, elles auraient émerveillé. A contempler, depuis une quinzaine de jours, le surgissement des plantes, je réalise que malgré un flagrant non-respect de la trêve hivernale parmi une certaine frange réfractaire de la flore, quelques-unes pourtant qui s’étaient endormies surviennent de nouveau. Au premier rang, les herbes folles, véronique de perse, ortie, plantain, tussilage, benoîte des villes, gaillet, chiendent, renoncule, les adventices, les pionnières à la conquête des interstices de sol dénudés.
Pimprenelle. |
Passer des heures agenouillée parmi les parterres, écarter les feuilles des fleurs et aromatiques cultivées, pour découvrir et nommer les plantes qui s’invitent avec liberté, les importunes et les convives que l’on retrouve avec plaisir tous les ans, ancolie, monnaie du pape, myosotis ou pissenlit, épargner avec largesse celles que l’on n’arrive pas à identifier. Soudain, sous l’encombrement des jacinthes des bois, du thym citronné et de l’invasive mélisse, la vision de quelques minuscules feuilles pâles et dentelées inconnues, la découverte d’une délicate pimprenelle noyée dans un fouillis végétal entropique, me fascine. La graine enfouie en septembre, oubliée, reléguée parmi les semis échoués, après des mois d’une vie latente souterraine dans l’attente de la réunion des conditions propices à son épanouissement – lumière, chaleur et humidité – s’est enfin éveillée de sa dormance. Evocation parallèle d’un avocatier enseveli sous un mètre de déchets végétaux, retrouvé en retournant le compost, noyau germé sauvé de ma fourche et qui s’épanouit depuis en plein air.
|
|
L’incertitude, toujours, face au cycle — les fleurs sèches fauchées à l’automne apparaîtront-elles en mai ? En novembre, nous avions recouvert les carrés et les planches du potager de feuilles mortes de chêne et châtaignier ramassées à grandes brassées dans un chemin de traverse. Depuis mars, ne subsiste qu’une terre noire qui s’égraine entre les doigts et laisse sur les mains une odeur d’humus. A peine sa surface griffée pour les premiers semis de légumes, des dizaines de pousses d’arroche rouge dessinent les contours du large cercle à l’intérieur duquel la plante montée en graine a essaimé cet été. Autres cercles, ceux de la bourrache, de la molène, de la monnaie-du-pape, de la cardère qui accueillera peut-être un chardonneret. Liée au cercle, l’attente, l’alternance d’un été de feuilles larges et épaisses qui couvrent le sol et d’un été de hampes florales érigées vers le ciel. Final explosif, volées de graines dans l’air.
Arroche et radis. |
Premiers semis. Emotion de l’émergence tendre et dissimulée. Les cotylédons des navets, radis, et plantules de roquette, sous le buis coupé de la haie qui les protège des derniers frimas, la lente et vigoureuse percée des fèves en bordure de la parcelle de pommes de terre. Panais, salsifis, betterave, carotte, en pleine terre ; poireau, thym, lavande, tagète, cobée, Suzanne aux yeux noirs, en pépinière. Je suis chaque jour saisie un peu plus par le sentiment d’une fascination renouvelée. Entre mes doigts, sur la terre que j’ensemence, la diversité des graines aux tailles et formes souvent surprenantes. Graines peu familières de fleurs que l’on ne connaît qu’en plants, de légumes parfois jamais vus en terre, voire même – je pense aux salsifis – jamais goûtés crus, ni cuisinés soi-même. Nos lacunes trahissent notre distance aux choses de la terre. Connaissez-vous la saveur des topinambours crus, leur goût fin et doux, leur texture de carotte ? Être désemparée devant le plumet noir et or des œillets — est-ce vraiment une graine, d’où sortira la plante, comment ? Triangles à la pointe des pétales de zinnias, microscopiques billes noires cachées dans les capsules des coquelicots et les gousses de roquette ou de moutarde, blanches et duveteuses sphères qui succèdent aux fleurs des salades dont les graines délicates s’accrochent aux parachutes vaporeux de leurs akènes à aigrettes.
Point botanique — la radicule perce la cuticule et la tigelle soulève les cotylédons qui s’extirpent du tégument. Traduire, pour soi : une extrémité de la racine blanche qui pointe au bord de la graine s’enfonce dans la terre tandis que l’autre se dresse et soulève l’enveloppe bientôt vide de la graine encore accrochée aux feuilles embryonnaires qui la repoussent pour se déployer. Phénomène que l’on nomme germination épigée, et différent de la germination hypogée des chênes dont le sommet apparu le premier s’élèvera toujours plus haut vers le ciel au fur et à mesure que son tronc va croître. — Note sur la reproduction : la Bleue de Hongrie est une angiosperme allogame.
Il y a autour des semences, de l’émotion et de la curiosité qui se répandent. Cet ami qui expérimente dans son appartement le semis de pins ou de dattiers, les trocs de graines avec les voisins, les cafés matinaux avalés dans le jardin auprès des pousses qui croissent de jour en jour. De la fascination, partagée.