La fin de l’année arrive, et avec elle le premier anniversaire des Feuilles volantes et l’occasion de revenir sur tous les livres lus, et sur le chemin parcouru dans le jardin retrouvé depuis la naissance du blog. Voici donc, parce que l’année a été très riche, un long aperçu de ce qui l’a rythmée !

Feuilles volantes, anniversaire

Les cinq chroniques qui ont eu le plus de succès :

Vitre, trop vite - Phoebe Gloeckner

Vite, trop vite de Phoebe Gloeckner, éditions La belle Colère.

« Au premier abord, Vite, trop vite pourrait être simplement le journal intime d’une adolescente qui sèche les cours, consomme alcool, sexe et drogue avec la même fureur, aime les garçons et couche avec des hommes. Cela pourrait être ce genre de livres qu’on découvre au collège par le bouche-à-oreille et qu’on s’échange à la récré, comme un rite d’initiation et qui avec le recul s’avéraient à la fois décevant, faussement moralisateurs et bien éloignés de nos psychés adolescentes. En bref, tout sauf Vite, trop vite. Phoebe Gloeckner en une claque magistrale, nous renvoie à la face, avec précision et justesse, toute l’ambivalence de ces années charnières où s’emmêlent et se confrontent le monde de l’enfance et celui des adultes, où les expériences du nouveau et de l’interdit s’accélèrent, dépassent et percutent de plein fouet la découverte de soi qui ne va jamais assez vite. »

Rock Psychédélique, David Rassent

Rock Psychédélique de David Rassent, éditions Le mot et le reste.

« David Rassent, au fil des pages, relève avec talent le défi de dessiner ce psychédélisme qui fuse et nous file entre les doigts, esquisse les modifications infinies d’un prisme kaléidoscopique, relie les points scintillants des cercles exinscrits du triangle qui se crée entre le LSD, l’Orient et la fée électricité. […] La vision que nous transmet David Rassent du psychédélique est une appréhension particulière du son. Le son comme une matière vibrante qui transmet un ressenti brut. Le son comme victime sublime des superpositions, du phasing, des boucles, des distorsions électriques. […] A travers cette multitude, parallèle à cette onde, se tend le fil rouge de l’écriture de David Rassent, une écriture qui se fond dans la musique qu’elle décrit, fluide, sensuelle, ouverte à la perception, mêlant précisions techniques et sensations. David Rassent invoque les images, les « nuages de feu, néons de glace et abysses électriques », joue avec les éléments et les adjectifs, libère sa plume. La musique, entre ses mains, de lysergique devient hypnagogique. »

Aventures du général Francoquin au pays des frères Cyclopus – Yak Rivais

Aventures du général Francoquin au pays des frères Cyclopus de Yak Rivais, éditions Le Tripode.

« A peine embarqué, on s’accroche, on rit, on s’esclaffe ! Dès les trente premières pages, les Aventures du général Francoquin décoiffent. Le lecteur époustouflé y apprend pour commencer que le pays voisin est tombé au main des révolutionnaires et qu’un certain général Franquin y est envoyé en mission par un Empereur qui veut faire main basse sur les ressources du dit pays. Le même lecteur découvre la maîtresse du général et l’amant de sa femme, puis la préceptrice se fait trousser le jupon par un mercenaire borgne, le jésuite est envoyé dans la porcherie, le carrosse et son convoi sont accostés par des tueurs à gages eux-mêmes poursuivis, et les indiens font leur apparition. Ouf ! Encore 560 pages ! Quel tournis, que de souffle, quelles aventures ! Yak Rivais nous entraîne avec drôlerie et vivacité dans une succession de péripéties et de retournements de situation qui rappellent à la fois le théâtre, les romans picaresques et la bande dessinée, sur fond de western et de révolution anarchiste. Cela s’encanaille bougrement au pays des Cyclopus, ça jambe en l’air et ça ribaude autant que ça diatribe et ça palabre ! »

Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage

Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage, éditions Futuropolis.

« Avec Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage nous offre le récit personnel de ce voyage particulier, mêlant avec virtuosité reportage et intimité du vécu, croquis pris sur le vif et illustrations après coup. Dès la première page, j’ai été saisie par son univers graphique et la force de son trait, la discrétion et la justesse des paroles qui accompagnent son dessin puissant. Immersion. […] Le gris s’impose, il emplit les pages. Dense, sombre, profond. Une première double planche, des pylônes électriques, des noirs fondus, fuligineux, et quelques touches bistre. Dans les bulles blanches, les paroles d’Emmanuel Lepage, comme un bulletin d’information radiophonique, se rajoutent au dessin sans le troubler. »

10 jours dans un asile, Nellie Bly

10 jours dans un asile de Nellie Bly, éditions du Sous-sol.

« En une centaine de pages seulement, l’on assiste à la naissance d’une reporter d’un genre nouveau qui par sa manière unique de mettre sa féminité et sa voix vive au service d’une écriture relatant avec honnêteté des faits vécus en toute subjectivité, deviendra la pionnière du renouveau du journalisme américain. […] Si, avec le développement du journalisme de terrain et de l’investigation undercover, d’autres grands noms de journalistes infiltrés ont supplanté Nellie Bly en popularité — de Jack London dans les bas-fonds de Londres à Hunter S. Thompson chez les Hells Angels, de la narrative non fiction au journalisme gonzo —, elle a par son audace sorti les femmes des rubriques modes des magazines et leur a ouvert en grand les portes du reportage. »

Parce que c’est de saison, le cadeau incontournable que vous devez offrir ou demander à Noël :

Et quelquefois j’ai comme une grande idée

Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, éditions Monsieur Toussaint Louverture.

« « Dévalant le versant ouest de la chaîne côtière de l’Oregon… viens voir les cascades hystériques des affluents qui se mêlent aux eaux de la Wakonda Auga.« Et quelquefois j’ai comme une grande idée est splendide dès l’ouverture, dès cette première phrase et son tutoiement impérieux, dès ce torrent de mots qui vous alpague et vous tire par le bras pour vous plonger dans les eaux froides de la rivière et l’amphithéâtre des montagnes. Deux pages seulement suffisent, deux pages de ruissellement entre les ronciers, deux pages d’une rivière implacable, apparemment calme, et d’une maison de bric et de broc qui s’accroche à la berge. Et soudain, la chute terrible. Une image qui vous laisse pantois, vous retourne complètement et ne vous lâchera pas, accrochée à vous comme le singe qui ronge la nuque, persistance rétinienne qui se prolonge jusqu’à la toute dernière page. Deux pages suffisent pour vous convaincre que vous tenez entre les mains un livre qui s’imprimera en vous, un livre dont l’écho vous accompagnera longtemps. Un grand livre. »

Le livre à retenir cette année, et une chronique à deux voix en duo avec Eric Darsan :

Cordelia la guerre, Marie Cosnay

Cordelia la guerre de Marie Cosnay, éditions de L’Ogre.

« Un seul coup : entre Cordelia la guerre. Elle est la figure antique et dressée qui pointe du doigt. Elle, monstre. Qui fait tomber les masques. Sous ses pas, le roi est nu. Ni tragédienne ni comédienne : opérante. Cordelia la guerre n’avale pas ; elle crache dans un flot de paroles les non-dits et les inacceptables. Inondations, crues, pluies obliques dans ses pages. Vague qui nous submerge, nous emporte, lame poétique qui tranche et déferle. Avec elle volent les hiboux et les furies. Cordelia la guerre, l’impitoyable. Coup de pied dans la fourmilière, table rase. Sa colère est contagieuse. Contagion contre contagion. Déterminée à sortir des terres minées, Marie Cosnay dépasse, pose les choses et les mots comme ils sont, qui connaît la chanson, mine et l’air de rien. Rien ne peut venir de rien, dit-on, dit Lear. Morale pas chère dont on fait les dictons. Diktat et division. Multiplication des pactes. Ne pas claironner. Lear pour lire. Ecrire pour ne pas oublier. L’écriture comme ligne de fuite, ouvrant de multiples perspectives aux multiprises de l’angle mort et de la pulsion du même nom. »

Pablo Katchadjian, l’auteur incontournable dont je ne vous ai pas parlé ici, mais sur Un dernier livre :

Quoi faire, Pablo Katchadjian

Quoi faire, éditions Le Grand Os.

 Difficile, pour parler du livre, de planter un décor. Surtout quand celui du rêve a des trous, comme un vieux chiffon. Vieux chiffon dont se compose un individu transformé en décor d’une université anglaise. Individu dont Alberto et le narrateur constituent la réalité. Réalité qui est peut-être un rêve. Voici que l’on se perd. Que croire, et qui, quand les voix n’appartiennent pas à ceux qui parlent et que les objets peuvent avoir deux visages à la fois ? « Si les contenus sont irrationnels, le système des contenus, lui, est la seule chose rationnelle et nous devrions compter là-dessus », énonce le narrateur qui réaffirme plus loin : « le système des contenus ne répond pas à nos besoins, il répond à sa propre logique qui nous exclut. » Appliqué aux cadres fatigués du roman, voilà qui provoque une explosion. »

Merci, Pablo Katchadjian

Merci, éditions Vies Parallèles.

« Piégé, le lecteur ne peut quitter le système créé ; accroché au cadre des répétitions, il s’habitue déjà. Le maître, l’esclave, soit. Dialectique. On attend du narrateur qu’il tue le maître. « A partir du moment où je décide d’être libre, je le deviens, car l’instant de ma décision est celui de la prise de conscience de la différence entre esclavage et liberté et que la liberté c’est précisément cette conscience d’une différence », répond-il. Dialectique, et dialogue de sourds. Personne ne veut jamais rien entendre à rien. […] Le narrateur est un homme dépossédé. Sorti de cage, il ne sait quoi faire. Soufflés par d’autres, ses coups d’éclat à venir : « c’est pour t’aider à choisir le chemin le plus court que je te dis tout ça. » Dépossédé de ses idées incomprises. Dépossédé de ses actions quand la racine le pousse. Agit-il, ou est-ce son autre ? Ou alors agit-il avec l’autre de l’autre ? Son autre avec l’autre de l’autre. Délire, trou noir. »

Une invitation à respirer dans le jardin retrouvé :

jardin retrouvé

Le potager en carrés.

Le jardin en hiver.

Le grand désordre de printemps.

Le jardin, le temps, l’espace.

Virginia, le temps des récoltes.

Anniversaire Feuilles volantes Lou Darsan

Deux promenades photographiques :

Rome, détours culinaires et délices italiennes.

Urbex, les choses.

Pour conclure ce billet d’anniversaire, tous mes remerciements à vous tous, aux auteurs, et aux éditeurs !

Merci !

A. Igoni Barrett, A. J. Albany, Alison Bechdel, Claro, Dany Laferrière, David Rassent, Emmanuel Carrère, Emmanuel Le Page, George Makana Clark, Henry Miller, James Agee, Joyce Carol Oates, Ken Kesey, Luigi di Ruscio, Marie Cosnay, Nellie Bly, Nicolas Cavaillès, Patrick Deville, Phoebe Gloeckner, Sébastien Porte & Cyril Cavalié, Yak Rivais

Alternatives, Anacharsis, Christian Bourgois, Denoël, Editions du Sonneur, Editions du Sous-sol, Futuropolis, Gallimard, L’Ogre, La Belle Colère, Le Bec en l’air, Le mot et le reste, Le Nouvel Attila, Le Seuil, Le Tripode, Monsieur Toussaint Louverture, P.O.L, Stock, Zulma